Ballade en taxi

Il ne restait pas grand chose de la magnifique BMW qui avait percuté de plein fouet la voiture en face. Laquelle avait grillé le feu rouge, la question se posait, mais rien de bien particulier ne retint pourtant l'attention du Toréador.
Il y avait des badauds un peu partout, mais guère plus qu'à l'accoutumée pour un tel accident, surtout dans un quartier si fréquenté. On le regardait, on apercevait le taxi, on admirait l'ambulance, on voyait les policiers, on fixait son voisin... Mais en fait, il n'y avait rien de bien étonnant dans cette scène de la vie courante. Peut-être un mort ou deux cependant, ou juste des blessés... La population s'interrogeait. n tous cas, il y avait donc un hôpital dans le coin, ou du moins dans la ville, cela semblait certain.

Le Toréador reprit du coup la route de la pyramide tronquée, n'ayant rien remarqué de bien étrange. Si ce n'est au final, après mûre réflexion, le monde. Certes le quartier était fréquenté. Certes la ville semblait active. Mais il était étonnant de voir encore tant de personnes attroupées au même endroit en cette heure tardive.
Sûrement que nous n'étions pas à Prague ici, ou dans les autres cours que le Toréador avait connues, et la vie étudiante présente ici devait en être pour beaucoup.

Réflexion passée, le quartier traversé en partie, le Toréador n'entendait plus trop les bruits proches de l'accident, car face à lui les lumières du centre commercial et le monde qui encore à cette heure-ci devait profiter des bars, boîtes et autres bowlings l'amenait vers un monde encore différent. Ce n'était plus la Gare ici, mais bel et bien la vie aurillienne qui s'offrait à lui.

<< Suite au Centre Commercial Justus Dahinden, je te laisse poster >>

Bien entendu, Dvorak se retourna vers le jeune homme qui venait de l’apostropher et saisi le papier que celui-ci lui tendait, puis, après avoir accepté sa proposition et l’en remercié, le salua plaisamment et se détourna du taxi pour continuer son chemin… du moins pour quelques mètres.

Bien que la nuit ne soit pas éternelle, le Toréador ne se précipita pas immédiatement vers ce qui devait assurément être le centre commercial. Cet accident de circulation lui semblait mériter quelques minutes de son attention. En plus des idées que le seul concept de taule froissée faisait germer dans son esprit d’artiste, il estimait qu’il pouvait y avoir là une possibilité, infinitésimale mais non moins plausible, de croiser l’un de ses semblables, qui pourrait être soit simple spectateur attiré par l’odeur du sang, soit ambulancier n’attendant que de se retrouver seul avec une victime inconsciente à l’arrière d’un fourgon, soit encore comptant parmi les blessés.
Dvorak s’arrêta donc un instant pour observer ce qu’il pouvait voir de la scène, sans pour autant quitter le trottoir menant à sa destination. Ne pouvant reconnaitre un caïnite parmi une foule de mortels d’un simple coup d’œil, il cherchait surtout à voir s’il n’y avait, dans cet accident, rien d’anormal ou de particulier, suggérant une quelconque implication surnaturelle.

Si il n’y avait rien, à première vue, capable d’inquiéter la Mascarade, le nouveau-né aurait poursuivi sa marche vers la pyramide tronquée.

Le total étant d'un peu moins de vingt euros, Dvorak dut se rendre à l'évidence, et constater le prix exorbitant des taxis à Aurillia...
Quoiqu'il en soit, le jeune étudiant accepta de laisse Dvorak payer 15 euros, puis le salua si celui-ci comptait vraiment descendre. Le chauffeur prit les sous, remercia le Toréador, et le regarda dans son rétroviseur sortir du véhicule.

Une fois dehors, le Caïnite remarqua que le taxi était bien à proximité d'un accident, vu le nombre impressionnant de voitures de pompiers, et l'ambulance qui venait de quitter à grande vitesse le lieu supposé du carambolage, en l'occurrence le grand carrefour devant eux. Derrière, à une cinquantaine de mètres, sortait de derrière les quelques immeubles présents dans la zone un étrange bâtiment en forme de pyramide tronquée. De ce que le Toréador avait lu dans un guide, ou peut-être aperçu comme ça à la gare, il s'agissait du Centre Commercial. Il n'y avait donc que la route à traverser et un morceau de pâté de maison à contourner pour arriver à destination. Dans cinq minutes, il devrait y être...

"Eh ! l'interpela le jeune étudiant par la fenêtre ouverte, un papier à la main. Voilà mon numéro, si tu veux visiter la ville prochainement, et que tu as besoin d'un guide !"

Suite à l’annonce de l’approche de sa destination, Dvorak pencha le buste vers la droite pour, d’une part, essayer de voir à travers le pare-brise l’endroit qui devait être le centre commercial et, d’autre part, prendre connaissance de ce que le compteur affichait. Puis il porta une main à sa poitrine et sorti de la poche de sa chemise une petite liasse de billets, tenus ensemble par une pince, principalement des petites coupures de différentes monnaies : euro, couronne tchèque et, bien entendu, franc suisse. Il commençait à mettre de côté les quelques billets qui lui seraient utiles ici, lorsque Keith fit connaitre son sentiment sur les raisons de cet arrêt.
Comme lui non plus ne souhaitait pas arriver dans son nouveau foyer à l’aube venue, d’autant plus qu’il lui restait beaucoup à faire, il déclara fort poliment à l’intention de l’étudiant :

« Bien. Dans ce cas, je crois que je vais descendre dès maintenant.
Considérant le présent ralentissement qui risque de saler l’addition, comment fait-on pour se partager les frais ? Cela te semble-t’il correct si je paye les trois-quarts de ce qui est dû actuellement ? »

Tout en formulant son questionnement, le Toréador avait rangé la partie inutilisable de sa maigre fortune à sa place dévolue, tout contre le cœur, et monté son sac de sport sur les genoux, bandouillère aussitôt enfilée autour de son épaule gauche, apparement effectivement décidé à sortir du véhicule sans trop tarder.

"Le centre commercial en a plusieurs, vous ne devriez avoir aucun problème à trouver votre bonheur."

L'étudiant tourna alors de nouveau la tête vers la vitre, apercevant une avenue conduisant directement sur les rives du port. Le taxi ralentit à mesure qu'il s'approchait d'un important carrefour, où les feux ne semblaient pour le moment guère jouer en leur faveur.
Keith vérifia alors l'heure qu'il était, semblant réfléchir à quelque chose, avant de faire remarquer au Toréador qu'ils approchaient du centre commercial, situé un peu après le carrefour en question.
Le feu passa au vert, mais la file ne semblait pas avancer. Le chauffeur grommela, tandis que l'étudiant tentait de voir ce qui semblait empêcher ça, apparemment désireux d'arriver chez lui avant que toute la nuit ne soit écoulée.

"Ca sent l'accident..." précisa-t-il, tandis que les voitures conservaient leur immobilisme total. Et pour réponse, le chauffeur ne fit qu'allumer sa radio, afin de confirmer ou d'infirmer ces dires... Le grésillement devenant petit à petit à une voix encore peu distincte, impossible pour les deux passagers derrière de savoir ce dont il était question.

Une de plus. Une situation de plus dans laquelle le nouveau-né se prenait à regretter d’avoir rejeté les enseignements que s’évertuait à lui promulguer celle qui avait de lui la créature qu’il était désormais. Décidement, cela commençait presque à devenir fréquent, ces derniers mois. Elle, au moins, n’aurait pas échoué aussi lamentablement qu’il venait de le faire, en espérant amené son interlocuteur à lui en apprendre plus sur le rôle de cette gare sur les entrées et sorties de la ville. Il le savait bien, pourtant, depuis le temps, que s’il lui arrivait d’obtenir quoique ce soit d’autrui, c’était à ses beaux yeux qu’il le devait et non à ses talents –contestables- de manipulateur.
Comme toujours lorsqu’il se sentait… médiocre, aussi peu courant cela soit-il, il camouflait son orgeuil froissé derrière un grand sourire, qu’il avait toujours au moment où Keith se tourna à nouveau vers lui, l’arrachant à sa contemplation de ce quartier différent, ainsi qu’à ses réflexions quant à l’intérêt et la probabilité qu’un Elysium soit installé dans la gare.
La question de l’étudiant lui fit tout d’abord soulevé des sourcils intrigués. Venait-il de faire exprès d’interroger sur un sujet nécessitant une déformation de la vérité, à un moment où le Toréador se trouvait mauvais au jeu de conduire les conversations ? Enfin, il se devait de répondre. Après avoir poser soi-même des questions, c’était la moindre des politesses.

« Un cyber-café, ou une bibliothèque, voire un Mc Do, avec service Wi-Fi, quelque chose comme ça.
J’ai perdu -juste oublié, j’espère- mon agenda, dans lequel se trouve les adresses de là où je dois me rendre, pour le logement et le travail, mais je devrais pouvoir retrouver ça dans mes mails. Il vaut donc mieux que je me procure un accès à internet avant demain, si je ne veux ni passer la nuit dehors, ni me faire renvoyer pour cause d’absence. »

Une légère secousse, la voiture prit son premier virage, sortant ainsi de l'Avenue des Larmes sur laquelle elle se trouvait pour prendre une avenue perpendiculaire.

Dvorak en profita pour remarquer qu'ils avaient quitté depuis quelques instants le quartier plus ancien de la ville pour entrer directement dans le centre ville... Les routes étaient plus plates, le lac bien plus proche, et partout autour de lui des bâtiments bien plus récents semblaient se profiler. Le chauffeur de taxi parut regarder un instant le Toréador quand celui-ci évoqua le gain des chauffeurs de taxi, mais ne réagit pas pour autant, au contraire de Keith qui sourit quelque peu, avant de regarder à son tour la ville défiler devant eux.
L'Hôtel de Ville, et son immense tour à l'horloge dont Dvorak avait entendu parler dans le guide de la ville leur apparut de loin, comme surplombant leur chemin, tandis que le taxi prenait progressivement la direction du Centre Commercial où le Toréador souhaitait se rendre.

"Et sinon ?" demanda Keith, en se retournant de nouveau vers son interlocuteur, "qu'espérez-vous trouver au Centre Commercial qui ne puisse attendre demain ?"

« Si tu es doué, petit, un jour tes découvertes me causeront du soucis. » fut la réponse qui se forma immédiatement dans l’esprit du Toréador, mais qu’il s’abstint bien entendu de prononcer, lorsque l’étudiant daigna enfin se présenter. Les deux amandes au cœur de miel qu’étaient ses yeux se chargèrent alors d’une expression étrange, que Keith put déceler à condition d’être bon observateur. Il n’y avait rien d’agressif ou de haineux dans ce regard, plutôt une forme de détermination comme on pourrait en voir chez deux adversaires sur le point d’entamer un match crucial.

Tout en tendant sa main vers celle qu’on lui offrait, Dvorak s’essayait à s’inventer une identité à fournir, en même temps qu’il était fort occupé à railler en son for intérieur ceux de ses semblables qui se concevaient prédateurs. Qu’ils attendent de voir, ces petits malins, si, en plus de l’Inquisition, les avancées technologiques ne compliqueront pas grandement la Mascarade et qui, alors, se sentira proie !
Tandis que sa peau froide entrait en contact avec celle de son interlocuteur, il annonça :

« Jan, grand amateur de Welcome to Gattaca. »

Le vampire avait dit cela en gardant ses yeux dans ceux de Keith, mais aussitôt le silence revenu, il glissa son regard vers la fenêtre qui se trouvait du côté de l’étudiant, puis le pare-brise arrière, comme si son attention avait été attirée par un quelconque spectacle de la rue. Le regard toujours vers l’extérieur du véhicule, il ajouta avec une résignation amusée :

« Plus calme dans une ou deux semaines, tu dis… Avec un peu de chance, il me faudra reprendre le train pile à ce moment là. Mais, merci bien, au moins me voilà averti : pas de départ dans l’après-midi.
Enfin, cette surabondance de gens à la gare a au moins quelque chose de rassurant, pour peu qu’on soit écologiste ; ça tendrait à prouver que les jeunes générations délaissent la voiture. Tout le monde y gagnerait : l’atmosphère et les chauffeurs de taxi. » finit-il, presque à mi-voix.

Un sourire, un petit rire rapide, l'étudiant dans le taxi commençait-il à perdre de sa timidité, et par la même occasion Dvorak réussissait-il à le faire parler ?
Il se tourna vers le Toréador, tout en lui répondant, d'une voix un peu plus assurée :
"C'est la ville qui veut ça, elle ne vit qu'en rapport avec le campus universitaire. La vie nocturne est assez développée, et même les grands surfaces sont ouvertes jusqu'à tard le soir...

Et puis comme le semestre s'apprête à commencer, les arrivants arrivent un peu quand ils peuvent... Si vous étiez venu dans l'après-midi, la gare vous aurait paru encore plus remplie... Ca se calmera dans une semaine ou deux, du moins dans ce quartier."

Il sembla hésiter un instant, puis finit par tendre la main en direction de Dvorak :
"Je m'appelle Keith. J'étudie en génétique."

Vouvoiement ; voilà ce que le caïnite interprétait comme un mauvais signe… en pareille circonstances, du moins. Enfin, il n’avait pas exactement pris l’habitude d’être adulé là d’où il venait, un simple petit deuxième année n’allait tout de même pas le chagriner avec si peu.
Cependant, le-dit étudiant le contraria quelque peu en détournant son regard. L’ennui était que Dvorak ne savait comment le comprendre : marque de dédain, de soumission, ou de quelques tournures d’esprits si malsaines qu’on les craint seulement devinées à travers le miroir de l’âme ?
Après avoir considéré un bref instant son vis-à-vis d'un oeil incrédule, le sculptural Toréador détourna à son tour ses yeux d’ambre pour contempler cette ville semblant transpirer le paradis fiscal par tous les pores de son asphalte.
Sa réponse, naturellement badine, ne se fit pas attendre suite à l’interrogation de l’étudiant, bien que celui-ci ne sembla la formuler qu’en raison d’une politesse ennuyeuse.

« Oh, non. Je me contente d’étudier ce que je vois du monde : un champ de connaissances à la fois trop vaste et trop réduit pour faire l’objet d’un cursus universitaire. Quelques poésies, toutefois, sauraient en avoir valeur de diplôme… »

Un froncement de sourcils dubitatif suivit cette déclaration. Après un court moment d’hésitation, le beau slave porta à nouveau son attention sur son compagnon de route. Il rajouta, d’un air, cette fois, plus concerné :

« Je suis amené ici par mon travail, en fait, je n’ai pas eu le loisir de me documenter sur Aurillia. Et je dois avouer être… désarçonné par l’ambiance qui y reigne. Je ne m’attendais pas à une telle agitation, à une heure si tardive. Cette ville ne dort-elle jamais ? Un lobby de jeunes étudiants ne pensant qu’à faire la fête aura prit la direction du canton, ce n’est pas possible autrement… » conclut-il avec léger accent de cynisme.

Comme si le Toréador le sortait d'un rêve, le jeune homme sembla comme émerger d'un état de pseudo transe... Peut-être était-il juste perdu dans ses pensées, et ne s'attendait-il pas à voir l'autre client du taxi lui parler.
Un moment d'hésitation, puis il leva les yeux vers le visage parfait de son interlocuteur. Mais devant le regard aussi plein de certitudes que d'attendrissement de ce dernier, il préféra détourner son regard vers le côté avant de répondre.

"Non je connais un peu la ville, c'est ma deuxième année. Et vous ? Vous êtes étudiant aussi ?"

Derrière le jeune homme, Dvorak apercevait les hôtels grands standings et boutiques de luxe défiler le long de la route. A n'en point douter, le taxi traversait une zone aussi riche que fréquentée, même à cette heure si tardive.

Comme il paraissait paisible, l’intérieur de ce taxi qui conduisait le jeune Toréador vers des lieux et un destin inconnus ! Le silence qui y règnait apportait un repos bien mérité, après tout le vacarme et l’agitation vulgaire qui remuaient la gare d’Aurillia. Ce calme soudain avait plongé le vampire dans un mutisme rêveur. Les pensées vagabondes qui traversaient son esprit s’alimentaient de ce qu’il voyait, sans pour autant le regarder, à la vitre de la voiture : lumières artificielles, formes géométriques et mouvement disparates se mêlant à la magnificence des traits de son visage, qui se reflétaient partiellement sur le verre. De quoi nourrir largement son inspiration ; quelques projets venaient même à se dessiner.

« Rue Saint-Aymeric. » ; c’est au moment où il se répéta mentalement ces mots que son esprit quitta le flou artistique dans lequel il nageait pour des considérations plus terre à terre. Rue Saint-Aymeric… Il serait dommage que cette adresse reste là, dans un coin de sa tête, et ne serve à rien d’autre qu’à combler l’espace. Ce n’est pas comme s’il y en avait tant que ça, de l’espace vide.
Dvorak commença alors à s’interroger sur ce jeune homme assis à ses côtés, et à l’intérêt qu’il pourrait éventuellement trouver à faire sa connaissance. Il glissa donc machinalement un regard curieux vers l’objet de ses réflexions et un sourire moqueur, qu’il s’efforça de contenir, lui vint presqu’aussitôt. Mais quel était donc cet air tout timide ? Allons, allons, il n’allait pas… le manger tout cru.

A coup sûr, ce n’était pas la politesse qui tenait les deux autres passagers du véhicule au silence. Car si ceux-ci s’étaient souciés de politesse, l’un lui aurait ouvert la porte, l’autre l’aurait remercié chaleureusement, cela allait de soi. De fait, le Toréador ne se sentait pas écrasé par le poids d’une possible goujaterie en prenant la parole, en élevant ce qu’il faut la voix pour que le chauffeur ne présume pas ces paroles comme lui étant destinées.

« Est-ce que tu connais déjà un peu la ville, ou bien toi aussi c’est la première fois que tu y viens ? »

En disant cela, l’adonis s’était appliqué à adopter un ton plus de confidence que d’interrogatoire, pour tâcher de ne pas intimider son voisin de banquette plus qu’il ne l’était déjà. Cela dit, il ne se forçait pas non plus à se donner l’air charmant ; l’essentiel étant de ne pas avoir l’air tordu… pas trop, du moins.

<<action de séduction (copinage, hein, pas drague) ; pitit jet de dés char+emp, por favor ?>>