Arrivée de Dvorak

"Rue Saint-Aymeric" répondit le jeune homme, toujours aussi timide, après être monté avc le Toréador.

"Le Centre Commercial Dahinden est toujours ouvert en nocturne en fin de semaine. Vous devriez pouvoir y trouver votre bonheur." annonça alors à la suite de la demande du Toréador le chauffeur, avant de faire démarrer son taxi, taxi qui s'extirpa de la zone d'affluence pour se diriger vers une très grande avenue qui longeait la Cathédrâle et semblait descendre vers le lac.

Le Toréador put remarquer le compteur se mettre en marche, indiquant que les tarifs de nuit étaient clairement aussi chers ici qu'ailleurs, tandis que son voisin, comme le conducteur, respectant la politesse ou peut-être terriblement timides ne semblaient guère désireux de parler.

<< Suite à l'Avenue des Larmes, Dvorak je te laisse poster. Si tu préfères ne rien faire d'ici le Centre, tu peux poster au Centre commercial. >>

Le jeune vampire s'était assis sur la banquette aussitôt la réponse du présumé étudiant germanique faite et avait refermé la portière derrière lui. Une fois son sac ingénieusement posé sur un flanc à même le plancher, de sorte à prendre le minimum de place au sol, il s'installa plus à son aise, jambes croisées, cheville gauche appuyée au-dessus du genou droit.
A la question du chauffeur, dont il n'avait apparemment pas remarqué le tic d'impatience, Dvorak se tourna vers son quasi-compagnon de route pour lui dire, avec une moue entre la gêne et l'amusement :

"A toi l'honneur ; réponds. Moi, je n'ai pas d'adresse précise à donner."

Puis il attendit que ce dernier annonce la destination à laquelle il souhaitait se rendre. Une fois chose, ou bien si l'étudiant resta, pour une raison ou une autre, silencieux plusieurs secondes durant, l'adonis ajouta à l'intention du chauffeur :

"Vous connaissez peut-être un centre commercial, ou quelque chose de similaire, en centre-ville et qui soit encore ouvert à cette heure. Je vous prie d'y faire escale."

Alors que Dvorak venait d'ouvrir la portière, le chauffeur jeta machinalement sa cigarette sur le sol, saluant le Toréador d'un signe de la tête, avant de prendre la place qui lui était dévolue.

L'étudiant arriva sur ce moment, constatant qu'il se faisait avoir pour la nième fois pour son taxi. Le mari poussa un soupir envers son épouse qui l'avait probablement ralenti, avant de se concentrer par dépit sur un autre véhicule. Le jeune homme s'apprêtait à faire pareil, quand la proposition du gentleman lui vint aux oreilles.
Un peu timide, celui-ci approuva d'un signe de tête, et d'un accent clairement étranger, à consonances germaniques, il lui confirma que cela lui convenait.

Commençant à tapoter sur son volant, le chauffeur commençait à s'impatienter... A moins que ce ne soit un simple tic ?

"Où voulez-vous aller ?" demanda-t-il dans un français très clair quand les deux jeunes gens se seront installés.

Chose exeptionnelle : le Toréador se sentit en cet instant fier de n’avoir que peu de bagages, lui qui d’ordinaire déplorait la pauvreté de sa garde-robe et l’absence d’une –au moins- belle jeune femme suspendue à son bras. Mais voilà que pour une fois la légerté relative de son sac et sa solitude lui donnait l’avantage théorique pour enfin obtenir un taxi. Il hâta donc son pas afin de confirmer la théorie par la pratique.

Dans l’éventualité où ce taxi fût le troisième à lui échapper de peu, il lui fallu en chercher un autre sur lequel jeter son dévolu. Au moins, il avait ainsi tout le loisir de travailler sa patience.

Par contre, s’il s’avéra qu’effectivement la première place de cette « course au taxi » lui revint, il passa juste à côté du chauffeur, qu’il salua d’un signe de tête, soutenant quelques instants son regard comme pour s’assurer de sa disponibilité. Puis il ouvrit la porte arrière droite et déposa son sac sur la banquette.
Il posa un premier pied sur le plancher du véhicule et, dans ce mouvement, ses yeux furent brusquement interpellés par les éclaboussures encore visibles qui ornaient le bas de son pantalon. A cette vision, il se raidit presque imperceptiblement, tandis que son buste se penchait légèrement en arrière et qu’un sourcil consterné se levait. Bah ! De toute façon, il n’aurait pas pu se présenter à l’Elyseum vêtu de la sorte. Cette chemise aux surpiqûres noirs formant des dessins tribaux donnait l’impression qu’il avait l’âge… qu’il avait l’air d’avoir, ce qui à son sens ne convenait pas du tout pour un nouveau-né. Cette considération le poussa à modifier ses projets immédiats et à ne plus se sentir pressé du tout.
Alors que cette découverte contrariante avait paru à Dvorak durer une éternité, il ne s’était écoulé en fait pas plus de deux secondes depuis qu’il avait entré une jambe dans la voiture. A la lumière de ce nouvel élément, il ne finit pas de s’installer complètement sur la banquette arrière. Il chercha plutôt du regard cet étudiant qu’il avait vu l’instant d’avant tirer une lourde valise et, une fois celui-ci trouvé, et à condition qu’il ne fût pas très loin, lui adressa la parole, dans un français où se devinait un accent étranger :

« Hey ! Tu cherches un taxi, n’est-ce pas ? Que dirais-tu de partager la facture ? Je dois me rendre en centre ville… »

La guerre débutait. Car si le sourire du Toréador pouvait marcher, la vitesse et la force mentale des passagers qui venait de traverser les Alpes pour arriver ici étaient des adversaires terrifiants.
La première voiture lui échappa alors même qu'il s'apprêtait à ouvrir la bouche. La deuxième le frôla, emportant avec elle un homme d'affaires et sa compagne... peut-être sa maîtresse, ou simplement une fille rencontrée une heure plus tôt dans les toilettes du train.

Toujours légèrement troublé par les quelques considérations et pensées qu'il avait eues, il se trouvait mauvais. Il était temps de passer à l'acte, et de réussir.
Un troisième véhicule attendait patiemment. Tournant le regard sur la droite, ce fut pour voir approcher un étudiant tirant sa valise comme il le pouvait. Sur la gauche, un couple, dont l'homme semblait bien désireux d'avoir un moyen de locomotion au plus vite, tout en évitant les bus surchargés. En face, la voie était libre, tandis que derrière, la suite de la foule approchait à grands pas. Et adossé à la portière de son taxi, le chauffeur semblait attendre patiemment lequel des opposants allait être le plus rapide...

Ou tout simplement finissait-il sa cigarette sans se soucier de la vie qui l'entourait, patientant après le client.

Mais il ne daigna pas le moins du monde pressé son pas. D’ailleurs, il se désintéressa entièrement des taxis. Après tout, si le besoin d’un moyen de transport se faisait cruellement sentir, il lui suffirait de tirer sa goule hors de son sommeil. A quoi bon l’avoir envoyé sur place trois jours avant, si ce n’est pour qu’elle rende service ?
Non, la splendeur hautaine de la cathédrale l’avait provoqué et il se devait, sinon d’y répondre, au moins de faire plus ample connaissance. Il s’approcha donc de l’édifice, le fixant de son regard où naissaient d’infatigables tempêtes à chaque défi qu’on lui lançait. Mais alors qu’il se trouvait au seuil de la maison du Seigneur, il s’arrêta brusquement en laissant échapper quelques mots dont la traduction devait s’apparenter à « Bordel de m… ». Et oui, c’est qu’une crainte justifiée l’interdisait d’aller plus loin, et ce n’était pas la peur d’un Dieu hypothétique, en lequel il ne croyait de toute façon pas, mais celle de monstres bien réels : les vampires de cette cité. Il était toujours envisageable que ceux-ci aient formellement interdit à leur congénères d’approcher un lieu de culte, qui sait. Pas moyen de circuler librement dans la ville tant qu’il n’en aurait pas découvert les us et coutumes de ses semblables.
Dans un affaissement soudain des épaules, qui aurait pu s’accompagner d’un soupir dans une autre existence, le vampire à la beauté démoniaque détourna les talons de la cathédrale. Se faisant, il adressa à l’immense porte de bois un « Tss ! » méprisant accompagné d’un soulèvement de menton tout aussi dédaigneux.
Le temps était venu pour le jeune homme de revenir à son projet premier : trouver un taxi. Evidement, c’eut été plus simple l’instant d’avant, mais la facilité n’enlève-t’elle pas son charme au quotidien ? Cette question n’avait le droit de s’entendre répondre pour l’heure que « Oui, bien sûr, c’est évident. ». Le Toréador, cette fois, s’avança d’un pas déterminé vers la zone des taxis, tout en se préparant mentalement à devoir jouer de son argument ultime, autrement connu sous l’appelation de « sourire qui tue », pour griller la politesse à d’autres. Le premier véhicule qui se présenterait ferait l’affaire, et il n’allait pas se gêner pour tenter de se l’accaparer sauvagement… pas trop, tout de même.

A peine sorti de la gare, c'est face à la magnificence d'Aurillia que le Toréador se trouvait maintenant.
Impossible de trouver la zone de taxi, impossible de se demander où il était... Il n'y avait que la beauté de cette ville perchée sur ce flanc de montagne, et de ce lac somptueux qui s'étalait à ses pieds.

En face de Dvorak quittant la gare, la cathédrâle Saint-Alexandre semblait défier la non-vie qu'il apportait en ces lieux, le toisant avec mépris et indifférence, ou au contraire peut-être en l'intimidant de se beauté.
Venait-il de sentir son coeur battre ne serait-ce qu'un battement devant cette vue ? La voiture qui passa devant lui, lui éclaboussant le bas de son jean le rappela à la réalité. La zone des taxis venait d'être repérée un peu sur la droite de la grande place devant le Toréador. Certains attendaient patiemment, et s'il daignait accélérer sa marche, peut-être aurait-il le temps d'en atteindre ne serait-ce qu'un avant l'arrivage massif qui se pressait encore dans la Gare...

Depuis qu’il avait levé le nez de l’écran de son téléphone et que la voix grésillante des hauts-parleurs l’avaient arraché à sa contemplation éperdue, ce nouvel arrivant, étrangement peu pressé, attardait son regard sur les hauteurs de la structure, tout en se laissant happer par des considérations hautement existentielles, comme de savoir si cette forme de colonnade là devait être rattachée au style néorenaissance ou bien italianisant. Ce n’est qu’en considérant les immenses fenêtres d’où le jour pourrait poindre qu’il lui sembla bon de ne pas s’attarder davantage sur ces questions, et de se diriger plutôt vers la sortie.
Son trajet lui parru dans un premier temps être un vrai parcours du combattant : faire un pas de côté pour éviter la collision avec ce retardataire qui courrait par-ci, enjamber les bagages qu’un malotru avait laissé en plein milieu du passage par-là, vaguement s’excuser pour le coup de pied totalement involontaire qu’on venait de leurs donner en plus de ça… C’est à ce prix là que le Toréador réalisa soudain combien cette gare pouvait être extraordinairement agitée pour une heure aussi tardive. Une ville étudiante, bien sûr ! Que n’y avait-il pensé plutôt ! Elle ne pouvait qu’avoir une vie nocturne riche de loisirs et de mets en tout genre. Vint alors se dessiner sur ses lèvres un sourire presque… machiavélique. Mais l’heure n’était pas à faire le malin.

La zone des taxis désormais repérée, il fallait encore en trouver un de disponible et ne pas se le faire piquer sous le nez...

Panneaux trouvés, Dvorak put constater qu'il avait tout le hall à traverser pour atteindre la sortie du bâtiment, et de là la zone de taxis.
Mais si cela pouvait le déranger, nul doute que les jeunes filles qui se pâmaient devant un tel Adonis ne le regrettaient pas, elles.

Cela dit, le jeune homme était plutôt attiré dans un premier temps par l'architecture grandiose et somptuese de la Gare. Un temps fasciné par ce qu'il voyait, il ne dut sortir de sa pseudo rêverie que par une voix annonçant que le train pour Lausanne venait d'arriver voie E.
Une certaine agitation se fit, malgré l'heure tardive, la Gare restant un bâtiment vraisemblablement fortement fréquenté. On remarqua Dvorak, on le dévisagea, mais les gens semblaient plus pressés de quitter cette Gare que de contempler un rêve... Idée que le nouveau venu, lui, ne partageait pas.

A la descente du dernier train en provenance de Zurich, quelques badaux se trouvant sur le quai purent se demander s’ils n’assistaient pas au tournage d’une publicité pour inciter les jeunes à user du chemin fer. En effet, sous leurs yeux, venant juste d’apparaître à l’encadrure de la porte du wagon, un jeune homme d’une splendeur physique indéniable avait dégagé de ses yeux la mèche de ses longs cheveux noirs, dont on devinait le soyeux rien qu’à la façon dont ils reflétaient la lumière, d’un mouvement de main digne des meilleurs ralentis cinématographiques.
Indifférent aux regards qui pouvaient ou non se poser sur lui, cet apollon s’engagea sur le quai, en direction de la sortie et des boutiques de presse qui s’y trouvaient probablement.
Chemin faisant, il avait fait valser par-dessus son épaule le sac de sport, du même bleu marine que son jean, qui lui tenait lieu de seul bagage, pour ne le retenir plus que de deux doigts. De sa main libre, il avait saisi le téléphone qui se trouvait dans la poche de sa chemise anthracite. Il entamait d’y consulter les messages éventuels mais les délaissa vite au profit des panneaux d’indications de la gare, à la recherche d’un logo qui indiquerait où trouver un taxi.