Suite de suite d'arrivée

Une carte de crédit, évidement... Avec seulement du cash sur lui, à quoi l’innocent petit vampire contre qui le sort aimait tant à s’acharner cruellement pouvait-il s’attendre d’autre ? Cet obstacle pécuniaire était de nature à décourager le jeune homme de prendre un vélo, dont il dédaigna superbement la borne à proximité, tandis qu’il se mettait en route vers le parc de Rochemont. Que celui-ci soit ouvert ou fermé, il lui fallait de toute manière aller dans cette direction, puisque c’est au barrage qu’il devait attendre sa goule –ou inversement, dans quelques heures encore.

Les quelques gouttes, voire même la grosse rasade, qui menaçaient de tomber ne le dissuadèrent pas de cheminer à pied. Du moins était-ce là son opinion tant que l’orage n’était qu’à l’état de menace… Tout d’abord, n’est-ce pas justement s’il venait à ressembler à une serpillère détrempée qu’il aurait le plus de chance de se trouver face à un cortège de Toréadors sorti tout droit d’un défilé de haute-couture du plus grand chic ?
Puis, il avait lu dans Machiavel qu’un Prince se devait de connaitre son domaine en le parcourant lui-même et non pas en se contentant de sa simple connaissance cartographique. Certes, il n’était pas Prince, mais le conseil n’en était pas moins valable.

C’est donc avec la plus grande attention et une curiosité non moindre que Dvorak découvrait ce qui apparaissait devant lui à mesure qu’il avançait, s’intéressant aussi bien au parcours en lui-même et aux rues et ruelles qui le jalonnaient qu’à la présence d’un minimum de passants. Une rue déserte de toute présence supposément humaine pouvait fâcheusement diminuer son envie de promenade et le pousser à chercher un bar encore ouvert.

Dvorak avait aperçu à d'autres reprises ces bornes de vélos disponibles pour les nombreux habitants d'Aurillia. Le système demandant une simple carte de crédit, ou alors une carte prépayée prise dans une boutique affiliée aux transports aurilliens Dvorak avait toute possibilité d'en prendre.

Alors qu'il raccrochait d'avec sa Goule et que le rendez-vous avec l'heure avait été pris, il se rendit compte que le ciel étoilé se remplissait de nuages assez sombres, présageant un orage dans peu de temps. Les rues étaient de plus en plus vides, l'heure plus que tardive jouant contre la possibilité du Caïnite de visiter tous les bâtiments de son choix. Le parc de Rochemont était-il ouvert toute la nuit, le Toréador n'avait pas pu le savoir auparavant...

La notion de trajet fatiguant était devenue assez théorique depuis l’étreinte du jeune tchèque, mais cela ne l’empêcha pas de considérer ce critère lorsqu’il arrêta son choix sur le parc de Rochemont. Puisque les trajets étaient grosso modo équivalents, autant prendre celui en descente. Qui plus est, les chances étaient peut-être moins minces de croiser là-bas un Apatride… ou bien d’autres créatures moins fréquentables.
Sa destination désormais connue, dans les grandes lignes du moins, le Toréador se dirigea vers la sortie la plus proche du Centre Commercial, après avoir rangé ses papiers et défroissé ses vêtements, il va de soi.
Tout en marchant vers l’extérieur, il sorti à nouveau son téléphone portable et composa le numéro de sa goule. Il était important de convenir dès maintenant avec elle d’une heure et d’un lieu où elle passerait le chercher en voiture avant l’aube, sans quoi il lui en cuirait, au propre comme au figuré.
Une fois hors du complexe marchand et tandis qu’il mettait ces derniers détails au point, le caïnite observait précautionneusement les alentours, d’une part pour s’assurer de la direction à prendre, d’autre part dans l’espoir de trouver des vélos à disposition, histoire de réduire quelque peu le temps de trajet. (Par vélos à disposition, il est entendu soit un système de location équivalent au Vélib, soit un vélo ne disposant d’aucun système d’antivol, ou d’un vraiment très sommaire.)

Le Centre Culturel étant dans le même quartier que le Centre Commercial, il était clairement plus proche, mais il faudrait à pied quand même presque une heure pour que Dvorak puisse l'atteindre.
S'il prenait la route contraire et descendait vers le barrage, il s'approcherait du Parc de Rochemont. A pied, une heure, peut-être un peu plus... Il repéra les rues pour l'un comme pour l'autre. Aurillia n'ayant rien d'américain, on était loin ici du schéma quadrillé, même si en passant par certaines artères principales on pouvait gagner du temps. Mais il fallait tout de même faire avec le relief, avantageux selon les cas, plus fatiguant à d'autres moments...

Une fois arrivé au rez-de-chaussée du centre commercial, Dvorak trouva place sur un banc, ou quelque autre endroit conçu pour s’y asseoir (et qui soit éloigné de fontaines ou autres jets d'eau potentiels... un malheur est si vite arrivé), afin d’y consulter posément le plan qu’il venait de se procurer au cybercafé.
Puisqu’il avait encore l’opportunité de flâner dans des rues pas tout à fait désertes, autant en profiter pour faire plus ample connaissance avec la ville. Connaitre un minimum le terrain peut parfois aider à se sortir de situations problématiques… du moins, à ce qu’il parait.
Le Toréador chercha donc sur sa carte certains endroits spécifiques, desquels il pourrait avoir besoin de se sortir en vitesse, à savoir le parc de Rochemont et l’Espace Culturel, ainsi bien entendu que le Centre Commercial lui-même. Les différents endroits localisés, il estima le temps qu’il lui faudrait pour se rendre soit au Parc soit à l’Espace Culturel (selon la distance à parcourir depuis le Centre Commercial), et également la complexité du trajet (quelques rues à suivre en ligne droite ou bien plein de bifurcations à faire).

Comme en témoignait le monde ayant rejoint certaines activités du Centre Commercial, comme le bowling ou les cinémas, la nuit n'était pas encore terminée, loin de là. Minuit était passé, les séances devaient donc continuer, et le bâtiment était encore intégralement ouvert à tous loisirs désirés.
La grande horloge que Dvorak localisa dans l'un des halls indiquait plus précisément minuit quarante trois. Son portable avait quelques minutes d'avance, rien de bien méchant : il lui restait encore de quoi s'occuper du coup.

Une fois la facture payée et la monnaie récupérée, le caïnite quitta les lieux sans même saluer le personnel, trop absorbé pour cela par le rangement de ses poches, qui commençaient à déborder de papiers, pièces et d’un… sachet de sucre en poudre? Celui du café, certainement, qu’un réflexe inexplicable l’avait poussé à conserver précieusement. Il jeta le dit sachet de poudre blanche dans la première poubelle se trouvant sur son passage, c’est-à-dire le sens inverse de son parcours d’arrivée, en direction de la sortie du centre commercial.
Tout en marchant, le beau slave répondit à une question d’importance, à savoir l’heure qu’il était, en consultant son téléphone portable. Il leva ensuite le regard, à la recherche d’une éventuelle horloge qui lui confirmerait ou infirmerait l’indication de son portable. Sans rendez-vous particulier, le reste de sa nuit dépendait maintenant du nombre d’heures sans soleil qu’il restait devant lui.

Le prix du café n'était pas prohibitif, loin de là. Celui de la communication internet encore moins : vraisemblablement, malgré les montagnes tout autour, la connexion devait être suffisamment facile à obtenir dans le coin pour ne pas changer les cybercafés en banques.

Quoiqu'il en soit, les deux serveurs saluèrent le Tchèque lorsque celui-ci se décida à partir. Ils jetèrent un coup d'oeil vers la dernière personne assise, une jeune femme effectuant des recherches de rues ou d'adresses au premier abord puis, si Dvorak ne leur dit rien, reprirent leurs activités, constitant à surfer sur le net, ou à nettoyer des verres ou des tasses...

Face à un tel embarras de choix, le Toréador se demandait lequel de ces spectacles risquaient le moins de le faire mourir d’ennui, tout en se préparant une nouvelle fois à quitter son ordinateur.
Durant le court chemin qui le séparait de la caisse, il lui vint l’idée saugrenue que le film de l’Espace Culturel pourrait être le meilleur choix. Un sujet aussi… passionnant de reportage et débat aurait peut-être l’avantage d’attirer quelques Ventrues, les moins informés parmi le public et les plus connaisseurs parmi les intervenants du débat. Et si ce n’était pas le cas, au moins pourrait-il y apprendre deux ou trois choses (pas davantage, par risque de saturation) qui l’empêcheraient de passer pour un ignare dans les soirées mondaines du coin.
Rien que la perspective d’une telle soirée, malgré les intérêts qu’il s’efforçait d’y trouver, lui causait déjà une indéniable lassitude, et c’est d’un ton aussi distrait qu’endormi qu’il demanda « Combien je vous dois ? » à n’importe lequel des serveurs qui se trouva en premier devant lui.

L'Université était aussi suffisamment tournée vers l'art pour que la ville suive son choix. Dans les divers théâtres ou cinémas de la cité, Dvorak localisa bon nombre de spectacles : en plein air des fois, de divers types, pour les connaisseurs comme les novices, des ocncerts aux pièces en passant même par un opéra... Les spectacles pullulaient, mais les premières n'étaient qu'au nombre de trois dans la semaine arrivant toutefois.
Une pièce de théâtre sur la Paix d'après Aristophane, un concert d'un obscur groupe de musique suisse dans un café nommé Sirocco, et enfin un film/reportage projeté avec débat auprès du réalisateur juste après sur le système financier suisse à l'Espace Culturel. De quoi passer une soirée fort amusante...

Une fois la présence de toilettes confirmée, Dvorak porta le café désormais à peine tiédasse à ses lèvres pour en prendre l’équivalent d’une gorgée, d’une taille suffisamment petite pour pouvoir la conserver en bouche sans l’avaler et sans que cela ne le fasse ressembler à un hamster.
Préférant attendre un court instant avant de se rendre aux toilettes pour se débarrasser du liquide (qui n’avait d’ailleurs pas aussi mauvais goût que ce à quoi il s’attendait pour un établissement tel que celui-ci), le Toréador revint une dernière fois à son clavier.
L’agitation soudaine de la galerie venait de lui faire réfléchir aux activités oisives diverses qu’il pourrait envisager pour occuper ses prochaines nuits. Toujours avec la vague idée en tête qu’il lui faudrait tôt ou tard trouver un semblable, il interrogea l’ordinateur au sujet des spectacles (musique, théâtre, danse… peu importait) dont la première aurait lieu à Aurillia au cours de la semaine.
Avant de regarder plus en détail les éventuelles réponses, le vampire fit son petit détour vers les lieux d’aisance, afin de recracher son café et d’arranger les gouttelettes de boues qu’on pouvait voir au bas de son jean… à condition de les y chercher. Ce faisant, le membre de la Rose prit bien garde à ne jamais élever son regard à plus d’un mètre et demi de hauteur, une rencontre avec un miroir étant des plus probables et pouvant avoir des conséquences fâcheuses.
Son petit manège terminé, et le pantalon tout propre, l’heure était venue de découvrir quels spectacles proposait –ou non- la ville.

Il y avait en effet des toilettes dans le cybercafé, et Dvorak en localisa très rapidement l'entrée. Par la même occasion, il put aussi voir que l'établissement s'était bien vidé et qu'il ne restait plus que cinq personnes, Dvorak et serveurs compris, dans les lieux. La galerie marchande, par contre, semblait au contraire plus animée, les gens devaient commencer à quitter les restaurants ou les bars pour passer aux activités suivantes...

Préférant supposer que le peu d’intérêt des journaux soit synonyme de la toute puissance de la Camarilla locale, ou tout du moins de l’absence de menaces sérieuses contre ceux de son espèce, le Toréador se trouva somme toute plutôt satisfait de ne rien avoir découvert d’alarmant dans la presse internet. Qui plus est, une ville apparemment aussi sûre que celle-ci ne devait pas comporter de Fléau, prêt à se jeter violemment sur le poil de tout nouvel arrivant non-officialisé.
Tout en rêvassant à la possibilité d’épargner encore quelques nuits à la si agréable et accueillante compagnie d’une Cour vampirique, le courtisan-newbie entama de rassembler les feuilles qu’il venait d’imprimer lorsque, se penchant davantage, un effluve parvenant à ses narines vint lui remémorer qu’il lui restait une chose à faire avant de songer à quitter l’établissement. Ce malheureux petit café, là, devant lui, ne pouvait rester si tragiquement délaissé, seul dans sa tasse, hurlant de ses maigres moyens, par quelques émanations diffuses, pour qu’on le remarque. Et, à n’en pas douter, il aurait été remarqué avec suspicion par le personnel de l’établissement en restant intact de la sorte.
Tandis qu’il finissait de rassembler ses maigres affaires et fermait les diverses fenêtres internet, Dvorak jeta un coup d’œil vers l’arrière de la boutique, à la recherche d’une porte marquée de la mention « toilettes » (ou assimilé).

Le site de la ville présentait bon nombre de plans et, tout en se remémorant qu'il ne lui restait que deux jours avant le fameux rendez-vous, il put aisément lancer les impressions des divers quartiers de la ville.

Pendant que l'impression se faisait, retournant sur son étude de la gare, et sur les informations la concernant, il lui devint vite évident que le bâtiment présentait de grands trésors architecturaux, et que toute l'actualité la concernant avait plus ou moins très à ça. Travaux, réaménagements, agrandissements, réparations, voilà les seules données internet qu'il put obtenir.
Vraisemblablement, aucun incident, ou rien de très fantastique derrière, du moins au premier abord. De toutes façons, en y regardant plus attentivement, la ville semblait elle-aussi plutôt tranquille : les nombreux articles du journal quotidien de la cité traitaient tous de l'approche de la rentrée, du changement du doyen ou du déplacement de certains départements d'un bâtiment de l'Université à l'autre. Aucun vol, crime ou phénomène paranormal : soit il ne se passait rien dans la ville, soit la presse était aveugle, soit on la contrôlait trop bien pour laisser filtrer quoique ce soit...

En y songeant de plus près, si cette chère et tendre Maguelonne avait assisté à la scène, elle n’aurait peut-être pas été aussi satisfaite de la prestation de son Infant que ça. Ce dernier n’avait heureusement pas l’habitude de penser souvent à elle, sauf par moments d’exaspération intense, sinon il imaginerait avec agacement le sermon qu’elle pourrait lui faire. Il fallait dire aussi : un restaurant… pour un quelqu’un dans l’incapacité de manger… Quelle suggestion stupide n’avait-il pas trouvée là ! Mieux valait ne pas en rajouter pour l’heure. Il ne lui restait plus qu’à espérer qu’on ne serve que de la nourriture imaginaire, à cette Table du Chapelier, ou alors, poser un lapin (blanc, il va de soi).
C’est en réfléchissant à cette dernière éventualité, et à combien il serait absurde de rater un rendez-vous avec une (ou plusieurs) jolie(s) fille(s), qu’une question essentielle se posa au Toréador : mais au fait, quand serait-ce, jeudi ?
Ce mystère résolu, Dvorak revint à son écran d’ordinateur. Il laissa de côté la documentation concernant la gare pour chercher un plan de la ville, le plus détaillé possible. A défaut d’un plan à proprement parlé, Google Map pourrait également faire l’affaire. Une fois un plan digne de ce nom trouvé, il en lança l’impression, à la condition qu’il y ait bien une imprimante reliée à son ordinateur.
Auquel cas, en attendant que les quelques pages de plan soient imprimées, le vampire s’occupa en regardant à nouveau sur internet l’actualité récente liée à la gare d’Aurillia.

La jeune femme fit une moue de mécontentement. D'un côté, il était clair que Dvorak l'intéressait, mais son talent pour lequel Maguelonne l'avait choisi il y avait bien des éons de cela était probablement d'un niveau trop élevé pour la jeune fille.
Se repositionnant normalement, passant une main dans ses cheveux, elle finit par le fixer d'un air de défi :
"C'est vrai. La Table du Chapelier est un excellent restaurant, en plein coeur du Parc de Rochemont. J'y serais jeudi soir, peut-être que j'aurais l'immense honneur de voir môssieur se déplacer jusque là ?"

Elle se retournera commençant à s'avancer vers la sortie.
"21 heures... Je ne passe chercher personne en voiture, voyons voir si vous serez aussi en retard que le lapin blanc."
Elle quitta le cybercafé sans se retourner, rejoignant par la même occasion la troupe de groupies qui attendaient à l'entrée les nouvelles. Les jeunes filles s'éloignèrent ensuite, si Dvorak n'apporta pas d'autres allocutions.

Tandis que Boucle d’Or considérait les prétendues difficultés à satisfaire les préférences culinaires du Sexe Fort, celui-ci, par l’intermédiaire de l’un de ses représentants des mieux réussis (physiquement, du moins), se contentait de ricaner intérieurement. Que ne pouvait-il lui avouer, à cette charmante créature, combien elle comblerait plaisamment ses particularités gustatives ! Ou qu’à défaut de cette auberge là, l’une ou l’autre de ses amies n’en serait pas moins un restaurant de secours fort convenable…
Une pointe de dépit vint brièvement à passer dans le regard de Dvorak. Pourquoi fallait-il que la gourmandise soit un si vilain défaut chez ceux de son espèce ?

Ce bref instant de fatalisme fut balayé aussitôt la dernière phrase de la jeune femme prononcée. Ainsi donc, elle le trouvait beau -jusque là : rien d’anormal- et avait l’audace de l’admettre haut et fort –déjà moins commun. Qui plus est, quelles pouvaient être ces manières, allant avec la Beauté, sinon celles d’un gentilhomme ? Plus flatté de ces compliments qu’il ne voulait l’admettre, l’inébranlable apollon porta à nouveau toute son attention à la demoiselle, ce qui se manifesta encore par une légère rotation de siège. Flatté de telles paroles, le jeune vampire affichait un air aussi fier qu’un certain Corbeau qui tenait en son bec un fromage.
Soudain, un doute persistant s’empara de lui. Ne venait-elle pas plutôt de le traiter de… gigolo ? Il y aurait eu, de toute façon, un je-ne-sais quoi d’assez perspicace dans cette remarque pour rendre malhonnête le fait de s’en outrager, si bien que le Toréador ne tint pas grand cas de cette pique potentielle. Une fois n’est pas coutume, et par ailleurs il n’y avait supposément aucune oreille camariste dans les parages pour en témoigner.
Cette ambigüité ne fit qu’accroître l’intérêt, jusque là purement poli (…presque…), de Dvorak, dans le regard duquel l’infatigable petite lueur provocatrice redoublait d’intensité.

« Vous y étiez presque ! ..."Vous avez la beauté…" Quelques phrases, encore, dans ce sens et vous trouviez avec exactitude la nourriture dont tous les hommes -ou presque- veulent se repaître.
Oubliez ces formules : j’ignore, je ne sais pas… alors que vous savez. Il ne faut pas croire : tout le monde ne s'arrête pas aux préjugés. Ce n’est pas parce que vous êtes blonde, que vous devez avoir tous les traits qui s’y associent. »

La demoiselle que Dvorak avait à côté de lui était fort vêtue. Sans en faire trop, ni pas assez elle se mettait parfaitement en valeur : il était clair qu'elle n'était pas du genre à acheter ses vêtements dans le premier magasin du coin. Un pantalon noir en satin, un chemisier en haut de la même couleur, et ses cheveux blonds qui tombaient de part et d'autre de ses épaules encadrant le très joli visage qui regardait, impassible, la démonstration du Tchèque.

Cela dit, dans le regard azuré de la jeune femme, Dvorak perçut un soupçon certain d'intérêt, mais elle se contrôlait suffisamment bien pour ne le laisser aucunement paraître auprès des moins empathiques, ou des moins vigilants.
"Je l'ignore... finit-elle par dire. Vous autres membres de la gente masculine êtes souvent trop fortement difficiles en matière de restaurant. Ou plutôt, fort différent de nous autres jeunes demoiselles... Je ne saurais où vous emmenez, et puis à n'en point douter, vous pourrez toujours demander à l'une de mes multiples amies de trouver le lieu idéal pour vous."

Elle haussa les épaules, toujours un sourire au coin des lèvres, et une lumière au fond du regard.
"Quelle déception... Vous avez la beauté, mais aussi toutes les manières qui vont avec."

Le jeune homme se laissa scruter sans la moindre gêne, au contraire même. Il en profita d’ailleurs pour en faire autant avec sa vis-à-vis, bien que le poids de cette dernière lui importait peu.
A la réflexion de la demoiselle, le vampire répondit sur le même air sérieux. Un sourire, qui se faisait par instant plus accentué, venait cependant trahir la légèreté du ton.

« Oh, non, non, non ! Je ne tomberai pas dans le piège !
Je vous connais, vous, les femmes. Toujours à baratiner les hommes pour leur faire croire que vous vous intéressez à eux, que vous êtes romantiques, alors qu’en fait tout ce que vous voulez, c’est nous voir nus.
Mais c’était bien tenté ! Mettre en doute ma musculature pour que, par sursaut d’orgueil, je me déshabille et prouve ainsi… »

Alors que la phrase était restée en suspend, la main de l’innocent -mais non naïf- Dvorak vint comme la compléter en quittant le dossier du siège pour venir se poser sur ses pectoraux, puis descendre tranquillement, dans un mouvement qui était une caresse sans vraiment en être une, jusqu’aux abdominaux, où elle finit sa course en tapotant à deux reprises.
La voix du Toréador, devenue presque caressante elle aussi, se fit entendre à nouveau pour achever le propos.

« …que ce n’est pas de la guimauve.
Cela dit, c’est dommage : je vais devoir rester vexé. Vous avez échoué aux deux tentatives.»

Ayant achevé ces mots, il se replaça bien en face de son écran, et commença à faire défiler certaines pages, survolant le texte au passage.
Après un instant de silence, pas assez court pour que la jeune femme sentit qu’il s’intéressait encore à elle, et pas assez long pour qu’elle ne se désintéressa à son tour, Dvorak rajouta, sans détourner les yeux de l’ordinateur et sur un ton qui avait tout d’une invitation :

« A moins bien sûr que tu ne me proposes un restaurant pour me faire prendre les deux petits kilos manquants pour que ta première réponse soit la bonne. »

Surprise puis amusée par la remarque du jeune homme devant elle, la demoiselle ne se démonta pas pour autant. Posant la main sur sa hanche, et se reculant comme pour juger de la marchandise, elle réfléchit quelques instants, avant de répondre :
"J'aurais bien dit soixante-quinze kilos, mais je suppose qu'en dehors de ce très joli minois, la couche de muscles dessous est nettement moins importante que vous ne pouvez le laisser présager. Dans le doute, je dirais soixante-neuf kilos, vous ne dépassez clairement pas les soixante-dix..."
Elle haussa à son tour les sourcils, comme prête à entendre la réponse de Dvorak. Ce dernier aperçut alors sur le côté, dans la galerie marchande à la sortie du cybercafé le groupe de jeunes filles, le regard tourné vers leur amie, qui devait vraisemblablement pour elles faire preuve d'un immense courage.

Un « Hum ? » dubitatif, agrémenté d’une discrète élévation du sourcil gauche, vint répondre immédiatement à la question de la demoiselle. Il faut dire que cette interrogation tranchait assez de celles que le Toréador avait en tête depuis un moment, et que la scène précédant son entrée dans le cyber-café ne lui revint pas en tête instantanément.
Quelques secondes durant, Dvorak fixa de ce même air perplexe l’auteur de cette interruption soudaine du cours de sa pensée, sans se détourner tout à fait de son écran d’ordinateur, quand tout paru lui revenir d’un coup. A cet instant précis, il claqua des doigts, de façon machinale, avant de presque s’exclamer :

« C’est exact. La question n’a pas été posée tout à l’heure. »

Il jeta un coup d’œil à l’écran, la main gauche toujours sur le clavier et prête à fermer toutes les fenêtres. Puis, comme l’ensemble lui sembla inoffensif, il délaissa complètement l’ordinateur et tourna quelque peu sa chaise en direction de la petite indiscrète.
Un coude encore posé sur le bureau, l’autre bras à l’arrière du dossier et jambes croisées avec désinvolture, Dvorak n’en affichait pas moins un air sérieux, presque grave, alors qu’il répondit :

« Et croyez-bien que j’en ai été très vexé. Je me réjouissais de rendre service, et voilà que finalement, je ne semble plus convenir, puisque cette question cruciale est écartée.
Alors non, je ne vous dirais rien. Cela dit… si vous devinez la réponse, je saurais oublier cette… mésentente.
Attention, vous n’avez droit qu’à deux essais. »

Ces propos s’achevèrent en même temps que commençaient à naitre au coin des lèvres du nouveau-né un sourire provocateur.

Il allait commencer ses recherches quand une délicieuse effluve se présenta auprès de lui, tandis qu'une jeune demoiselle s'approcha à côté de lui, minaudant légèrement, un joli sourire sur la figure. Quelques instants de réflexion, et Dvorak se souvint d'elle comme l'une des demoiselles présente à côté de celle qu'il avait baisé peu de temps auparavant, mais qui n'avait guère réagi devant toute la mise en scène et le semi évanouissement de son amie.

Faisant légèrement onduler ses cheveux, c'est d'une voix douce et délicate qu'elle demanda :
"Veuillez m'excuser, mais mon amie n'a guère eu le temps tout à l'heure de vous poser une question essentielle pour elle. Auriez-vous la possibilité de me donner... votre poids ?" Elle ne rougit absolument pas, sûre d'elle, et même si son regard ne se détournait pas de l'incroyable beauté du Toréador, elle se contrôlait encore très bien.
Au même moment, les premiers résultats s'affichaient sur l'écran. Il y avait bien évidemment sur le site de la ville des détails sur ses monuments, la Gare en faisant parti.

Tout d’abord surpris de l’omniprésence de l’Université dans la vie de la ville, et surpris davantage en ne trouvant dans sa mémoire aucun exemple récent montrant que le haut niveau d’éducation suisse profitait au pays, le Toréador fini par trouver son compte dans cet état de fait. N’avait-il pas, après tout, un adorable minois d’étudiant consciencieux qui lui ouvrirait les portes de bien des endroits de la ville ?

L’importante étendue de l’Université et la dissémination de ses structures ne constituaient pour l’heure pas un problème majeur. A dire vrai, le jeune vampire ne s’était pas exactement figuré qu’il lui serait possible de trouver, par ses propres moyens, un Elyseum. Quelque chose lui faisait naïvement espérer qu’en des siècles durant de Mascarade ses semblables auraient développé quelque don pour savoir se rendre introuvables. Il songeait donc plus réaliste de faire en sorte que eux le trouve, plutôt que l’inverse.
Par ailleurs, la Gare par laquelle il était arrivé avait toujours sa préférence en tant qu’Elyseum potentiel. C’est donc en contradiction parfaite avec ses premières réflexions quant à l’impossibilité de trouver tel lieu que le Toréador se lança dans de nouvelles recherches, concernant bien évidement la gare, cette fois-ci.
Les horaires ou destinations des trains ne lui étaient d’aucun intérêt, en l’occurrence. C’est à l’histoire du bâtiment qu’il s’intéressait avant tout : l’histoire de sa construction qui, avec de la chance, s’illustrerait d’anciens plans, mais aussi les fait divers s’y étant déroulés dans l’actualité récente.

S'il ne semblait pas y avoir dans la ville d'asile d'aliénés, un département psychatrique semblait totalement exister. Relevant pour la nième fois l'adresse, le Tchèque commença à remarquer quelques détails troublants sur ce qu'il venait de découvrir.
Revérifiant à nouveau les adresses des banques du sang, puis des hôpitaux, cliniques et autres instituts mentaux, il constata que tout semblait découler de l'Université. Tous ces endroits devaient fourmiller d'étudiants, analysant en même temps que les médecins, infirmières et autres scientifiques les éprouvettes, les tubes à essais ou les rapports médicaux. Et même si tout ne se trouvait pas de l'autre côté du lac, comme les innombrables bâtiments de l'Université elle-même, ils n'étaient que multiples annexes de cette dernière.

Dvorak avait perçu à son arrivée dans les documents sur la cité la réputation immense de son école, mais ne s'attendait pas à ce qu'elle ait une place aussi grande, et une influence aussi importante. De là à penser qu'elle était contrôlée par la secte en place, il n'y avait qu'un pas... Problème, sa taille ne permettrait absolument pas de savoir où dans ses locaux pouvait se trouver un potentiel Elyseum... Et était-ce si judicieux que ça de les mettre là-bas ?

L’inaboutissement de son premier sujet de recherche n’étonna finalement qu’assez peu le jeune vampire, qui avait effectivement pu constater de lui-même l’absence de mendiants. La question se posait alors de savoir où pouvaient bien se nourrir le clan du Masque, car ce n’était certes pas un centre commercial truffé de caméras à chaque entrée qui devait leur servir de « terrain de chasse », comme ses congénères aiment à dire. Une conclusion sommaire s’imposait de fait : il ne devait pas y avoir de Nosferatu en ville. Cela avait l’avantage de rayer sans scrupule « visite des égouts » de sa liste de choses à entreprendre pour rencontrer, éventuellement, un membre de la Famille.

Quant au second sujet, il s’avéra plus compliqué que ne l’espérait le Toréador. Une ou deux adresses, trois à la rigueur, de banque du sang lui aurait convenu à ravir, mais, hélas, il s’en trouvait bien plus que cela. Il n’en nota pas moins chacune des adresses qui défilaient sur l’écran face à lui, souriant à demi de l’ironie de la situation. Un vampire se désolant presque d’avoir tant de sang à portée de canines…

Ayant évidement à l’esprit les soins hospitaliers dans leur ensemble, une nouvelle question vint à Dvorak, question à laquelle il tenta de répondre aussitôt en entrant de nouveaux mots clefs dans le moteur de recherche.
Parmi tous les instituts médicaux de la ville, certains d’entre eux disposaient peut-être d’un département de psychiatrie, ou encore même mieux, d’un département d’urgence psychiatrique. Bien qu’il sembla au beau tchèque fort peu probable de croiser un Malkavian dans un tel endroit –ceux-ci se trouvant souvent pleinement sains d’esprit-, la question ne lui semblait pas moins valoir la peine d’être posée.