Suite de suite d'arrivée

Le questionnement du Toréador se poursuivit, quand il ne trouva aucune trace d'une quelconque association d'aide pour les sans abris, ou les plus démunis. Y en avait-il ici ? Si oui, ils ne semblaient pas avoir leur place sur le net.

Il trouva néanmoins plusieurs traces d'associations d'aide aux nouveaux arrivants, pour loger les plus perdus, les plus paumés, probablement des étudiants sans le sou... Mais rien qui semble faire office de soupe populaire. La religion aussi semblait peu prépondérante, pas assez pour diriger la ville. Les étudiants semblaient suffisamment bien organisés pour s'arranger entre eux.

Les cliniques, les hôpitaux par contre, disposaient à la fois de banques du sang assez importantes, mais semblaient faire un appel au don du sang à raison d'une fois par mois. Le prochain serait dans huit jours, dans toutes les institutions médicales de la cité. En cas de crise majeure, la ville devait disposer d'une réserve clairement impressionnante... Etrange pour une telle enclave en plein milieu des montagnes.

Carnet de notes à portée de main, bien calé contre le dossier, une jambe prenant appui sur le siège voisin et le coude opposé installé sur la table, Dvorak était fin prêt à lancer ses quelques petites investigations internet. Cela le tranquillisait de n’avoir personne dans le dos, qui pourrait lire par-dessus son épaule, mais au fond il se souciait assez peu d’être discret. Après tout, il ne risquait sans doute pas grand-chose, à part d’être pris pour un bon samaritain…

Son premier souci fut d’envoyer un mail à son serviteur, resté à Prague, pour l’informer que jusque là, tout allait bien pour lui, et qu’il le contacterait sous peu pour lui donner éventuellement quelques instructions. La tâche fut rapidement réglée, même s’il n’était pas commode d’écrire en tchèque sans police d’écriture adéquate quant aux accents.
Ce menu détail de côté, le Toréador se lança ensuite dans la recherche de diverses associations bénévoles pouvant exister à Aurillia même, du genre secours populaire, catholique, orthodoxe, estudiantin ou n'importe quoi d'autre.

Tout d’abord, le besoin du vampire d’aider son prochain se focalisa sur les personnes sans-abris. Il chercha des adresses d’hébergements d’urgence, ou bien de soupe populaire, ou encore tout autre type d’endroit, comme par exemple des églises, proposant d’accueillir les plus démunis.
Si jamais sa recherche lui révéla l’existence de tels lieux, le jeune tchèque ne considéra que ceux accessibles la nuit pour en retranscrire minutieusement les adresses dans son calepin.

Que cette première recherche ait ou non porté ses fruits, Dvorak s’intéressa ensuite aux campagnes de don du sang se déroulant à Aurillia. Au cas où il vint à trouver l’annonce d’un tel évènement prévu sous peu, il en nota également les adresses ainsi que les horaires, cette fois, que ceux-ci soient de jour comme de nuit.
Par acquis de conscience, il chercha même des sites d’hôpitaux ou de cliniques locales, pour voir si l’une de ces institutions clamait haut et fort disposer d’une banque du sang.

"Mais tout à fait monsieur." lui répondit poliment le premier des deux serveurs, avant de lui indiquer qu'il pouvait prendre le poste disponible de son choix.
Dvorak localisa rapidement celui qui lui semblait le plus agréable, disposant à la fois d'une jolie vue sur la galerie marchande, d'un siège confortable, et d'une tranquillité qui empêcherait un potentiel voisin de consulter l'ordinateur en même temps. Le temps que le Toréador prenne place, le café venait d'arriver... Parfait.

Ce nouveau décor causa une sorte de soubresaut mental chez le Toréador, tant l’ambiance tranchait de celle de l’instant précédent. La chaleur humaine cédait la place à la froideur fonctionnelle de la technologie de pointe. Au moins, il n’y avait la bande son de Star Trek en musique de fond, c’était toujours ça de prit.
En parcourant la courte distance qui le séparait du bar, le caïnite procéda à un rapide repérage de la disposition des lieux, afin de jeter son dévolu sur le poste devant lequel il semblait le plus confortable de s’installer… si tant est que l’un d’eux sembla plus accueillant que les autres. Une fois assez proche des deux personnes paraissant travailler ici pour leur adresser la parole sans besoin d’élever la voix, et respecter ainsi le calme du lieu, le bel éphèbe les salua tout deux d’un simple signe de tête, avant de leur lancer un regard interrogateur tout en demandant paisiblement :

« Une demie heure de connexion et un café… c’est possible ? »

Le regard de la demoiselle se perdit totalement, la laissant là inerte, incapable de souvenir de la question qu'il fallait poser sur le poids de la personne qui venait de l'embrasser. Ses amies vinrent à son secours, tandis que la beau Toréador pénétra dans le cybercafé qu'il venait de remarquer.

Un vaisseau spatial n'aurait pas fait mieux en terme de décoration, le café était à la pointe de la technologie... à tel point que ça en devenait presque incommodant pour qui n'appréciait pas le style futuriste. En tous cas, Dvorak aurait la possibilité d'être tranquille, car en dehors des deux personnes derrière le bar et de quatre clients, l'endroit était calme. Une légère musique errait cela dit dans les lieux... apaisante, douce, délicate, peut-être était-elle là dans l'espoir de rappeler aux personnes ici présentes l'immensité de l'univers...

Après avoir baisé les joues de la jeune femme –quoiqu’il eu peut être s’agit de la commissure des lèvres dans le second cas, le Toréador recula d’un pas, ramenant à lui dans le mouvement sa main droite, dont les doigts effleurèrent à peine la nuque de la mignonne. A cet instant d’ailleurs, toute l’attention du beau slave semblait focalisée sur cette gorge offerte et son regard, qui s’y attardait un peu trop longuement, brillait d’un appétit autrement plus dangereux qu’on ne l’aurait soupçonné.

Mais l’heure n’était pas à la gastronomie et cet intermède, bien que fort plaisant, n’avait pas fait oublié ses priorités du moment au jeune vampire. Un dernier regard adressé à la demoiselle, accompagné d’un demi-sourire énigmatique, et Dvorak se détourna d’elle pour reprendre son chemin vers le cyber-café, comme si de rien n’était.

Ne s'attendant clairement pas à une telle action de la part du jeune homme, la demoiselle sembla comme s'abandonner totalement dans les mains du brigand qui la contrôlait. La marionnette qu'elle était devenue n'attendait apparemment plus que le bon vouloir de son maître, divin adonis de son état, sous le regard mi jaloux, mi éberlué de ses compagnes, observant cette danse aussi surprenante qu'attirante.

Quelques passants semblèrent se retourner, jugeant la beauté de ce tableau comme presque transcendantale, avant de disparaître à leur tour dans les méandres de l'établissement. L'aiguille de l'horloge gigantesque qui survolait les escalators passa à la minute suivante... et tout le monde paraissait figé, n'attendant que le bon vouloir du Toréador pour poursuivre la scène.

Etrangement, le Toréador n’avait pas même remarqué ce groupe de jeunes filles pourtant court vêtues, jusqu’à ce que l’une d’elle s’approche de lui. Une telle faute d’attention n’était pas dans ses habitudes, aussi jugea - t’il bon de la mettre sur le compte de sa présente recherche d’un cyber-café plutôt que sur cette forme de désintérêt que la gente féminine lui inspirait depuis que l’une de ses représentante lui était devenue essentielle.

Quoiqu’il en soi, lorsque la prude demoiselle demanda un baiser –qu’importe qu’il ne fût que sur la joue, Dvorak ne put que s’en sentir flatté, ce qui se traduisit par sourire aussi bien satisfait que séducteur. L’aveu, cependant, qu’il devait s’agir là d’une forme de pari entre copines modéra quelque peu ce beau sourire, sans toutefois l’estomper. Ainsi donc, le premier péquenaud venu aurait tout aussi bien fait l’affaire que lui, du moment que le compte des bises reçues allait croissant… Cette presque vexation, quand bien même elle s’ajoutait à la froideur énigmatique des lèvres d’un vampire, ne constituait cela dit pas un motif de refus suffisant aux yeux du nouveau-né.
Machinalement, le beau tchèque remonta son col de chemise, jusqu’à dissimuler en partie le bas de son visage, alors qu’il répondait :

« J’hésite… Je ne voudrais pas avoir l’air d’un garçon facile, mais… si c’est pour la bonne cause. »

La fin de cette phrase s’accompagna d’un geste sec et assuré pour redresser le col de chemise. Puis la main droite du Toréador s’approcha de la nuque de la jeune fille. A moins que cette dernière ne changea d’avis et n’esquissa un geste de recul, le vampire plaça sa main à l’arrière de la tête de la midinette, comme pour la maintenir en place, tandis qu’il déposait un baiser sur la joue droite de celle-ci. Il est bien entendu qu’il ne lui fit pas la bise comme on a coutume de le faire, en se contentant d’effleurer la joue l’un de l’autre et de faire un mouvement de bouche plus ou moins dans le vide en quelques fractions de secondes ; non. Il déposa à peine le bout de ses lèvres entre-ouvertes sur la peau de la fillette, avant de les refermer doucement, augmentant un peu plus la pression à chaque instant, le tout devant durer quelque chose comme quatre ou cinq secondes.
Sans geste de la jeune fille indiquant qu’elle souhaitait se dégager, le Toréador s’apprêtait à récidiver ; sur l’autre joue, cette fois…

A la recherche de son cyber-café, le Toréador continuait de dévisager la foule dans le hall rutilant du centre commercial. Les pieds sur les escalators, il observait le rez-de-chaussée s'éloigner, et sa vue sur les terrasses des bars et restaurants s'agrandir.
Tout était encore bien rempli, même si les restaurants semblaient se vider au profit des zones de loisirs. Le bowling, au premier étage, juste en face de l'escalator, semblait plein à craquer. Coup d'oeil sur la droite, la lumière tamisée de la salle de billard cachait mal la population nombreuse qui s'y affrontait. Regard sur la gauche, le chemin menait directement vers le cyber-café le plus proche de l'entrée que Dvorak avait remarqué.

Ainsi donc continua-t-il son chemin, quand une jeune fille vint à son encontre, sortant tout droit d'un groupe d'étudiantes qui semblait l'avoir pleinement remarqué. Toutes habillées comme des lycéennes sorties tout droit d'un manga, elle l'avait dévisagé depuis son entrée sur le sol de l'étage.
Les tresses sur le côté, la jupe très courte au dessus des longues chaussettes, le chemisier blanc, c'est d'une voix tout à fait charmante qu'elle lui demanda s'il pouvait l'embrasser sur la joue, afin qu'elle récupère son poids en baiser. Etait-ce un deuxième piège que ce bâtiment lui lançait ?

Non mécontent d’en avoir terminé avec ces formalités, le Toréador parvint à décrocher un « Bonne soirée. » relativement aimable à l’intention du jeune sournois qui s’était occupé de lui (car le sourire de ce dernier ne pouvait que dissimuler une indicible vilenie) et s’éloigna de la consigne sans demander son reste.
Encore quelque peu distrait par cette tâche tout juste accomplie et les considérations inquiétantes qu’elle avait amené quant aux méthodes alambiquées de la petite délinquance locale, une poignée de secondes fut nécessaire à l’Apollon tchèque pour se remémorer le chemin qu’il avait à parcourir avant d’atteindre le cyber-café précédemment repéré.
Il traversa donc le hall en sens inverse puis choisit d’emprunter les escaliers plutôt qu’un ascenseur pour se rendre au premier étage, où devaient se trouver les établissements visés. Il lui suffisait maintenant de trouver un cyber-café encore ouvert à cette heure, le premier à se présenté faisant tout aussi bien l’affaire qu’un autre.

L'argent et le bagage récupérés par l'employé, la carte de la consigne remise à Dvorak avec ses papiers d'identité, et les derniers papiers tous signés, le Toréador réalisa qu'il avait enfin effectué toutes les tâches demandées, et qu'il était donc libre de vaquer à d'autres activités.
Le jeune homme le remercia poliment, et à moins que le Tchèque ait d'autres questions à lui poser, il attendra que celui-ci se soit reculé ou éloigné pour se consacrer au client suivant, sans faire plus attention à son interlocuteur précédent.

Derrière, dans la galerie marchande, les gens continuaient de se balader tranquillement, passant des bars aux restaurants, ou des restaurants au cinéma. La vie continuait son chemin tout autour du Caïnite, sans guère se soucier pour le moment de lui.

Le rectificatif de l’employé-malfrat fut accueilli par une suspicion accrue de son vampire de client à qui, décidemment et ostensiblement, ce petit sourire ne convenait pas.
Il revint soudainement en mémoire du Toréador l’image de ce brave homme –s’il en est- d’un âge avancé à côté duquel le hasard avait voulu qu’il se trouvât assis dans le train et qui lui avait expliqué des heures durant, avec une bonhomie consternante, l’art de la cueillette du serpolet. Quelque chose, chez ces suisses, ne tournait manifestement pas rond. Une malédiction, peut-être, les aurait tous rendus affables.
Ce perturbant constat n’empêcha cependant pas le nouveau-né de procéder à un échange de billets, dans sa poche de chemise, et de remettre à l’agaçant guichetier la somme de vingt francs suisses. Il lui paraissait en effet plus prudent de garder ses euros, au cas où l’écrasante politesse des autochtones l’oblige à une fuite précipitée vers un pays limitrophe.

Il remarqua rapidement plusieurs caméras de surveillance, à la fois dans la consigne mais aussi dans le hall du centre commercial juste derrière lui. Elles étaient parfaitement visibles, marques évidentes d'une envie de décourager, mais le Toréador savait qu'elles n'en cachaient pas moins d'autres systèmes de surveillance bien plus sophistiqué. La ville d'Aurillia n'était clairement pas un endroit où on laissait aller et venir tout le monde sans se soucier d'eux.

Revenant au jeune homme derrière le comptoir, il remarqua une pointe d'étonnement rapide lorsqu'il eut sorti le billet de 20 euros. Se reprenant, faisant vraisemblablement sa première véritable erreur de la discussion, il s'excusa poliment et précisa au tchèque que les euros étaient accepté mais que s'il avait en sa possession des francs suisses, il était tout à fait en droit de payer avec. Une erreur qu'il incombait à un précédent client ayant payé en euros, disait-il... Peut-être ce fameux client était-il aussi saucissonné avec le véritable employé, tentant d'échapper à la torture lente et douloureuse qu'on lui faisait subir ?

Laissant donc le choix à Dvorak de se décider, il en profita pour prendre le sac et le passer derrière, à un autre employé qui l'amena vers l'endroit où devaient se trouver tous les casiers.
Citant le prix en francs suisses, comme en euros, l'employé avait donc eut le temps de redevenir aussi sérieux qu'auparavant, et avait surtout repris son petit sourire si condescendant...

Après un temps d’hésitation, le Toréador opta finalement pour ne pas prendre de vêtement supplémentaire. Il dirigea donc son bagage, dont il avait extrait l’essentiel, vers qui de droit afin qu’il en assure la garde.
Ce faisant, il n’en écoutait pas moins d’une oreille semi-attentive les réponses qu’on lui faisait. Un froncement de sourcils méditatif, ainsi que le sourire furtif qui le suivi, témoignèrent d’ailleurs de son attention lorsqu’il fut question d’un tiers pour retirer les biens de la consigne.
C’est en revanche une marque d’étonnement qui s’empara des harmonieux traits du jeune tchèque à l’annonce du prix à payer. Des… euros ? Pour un taxi ayant pour point de départ une gare, cela ne lui avait pas semblé tellement étrange qu’on lui propose de payer en devise étrangère. Mais là, le Toréador commençait à s’inquiéter. Certes, il avait conscience que son accent l’empêchait de passer pour un francophone de langue maternelle, mais de là à être identifié instantanément comme touriste… Voilà qui lui promettait de longues heures de solitude à réciter quelques virelangues pour améliorer sa diction.
Après une fouille minutieuse de chacune de ses poches, qui n’aboutit hélas pas à la découverte escomptée d’une pièce de vingt centimes, Dvorak résolu de tendre un billet de vingt euros, la plus petite coupure qu’il trouva sur lui, à son vis-à-vis, auquel il ne rendait d’ailleurs pas exactement le sourire. En effet, ce dernier paraissait trop poli pour être honnête aux yeux du vampire qui, par conséquent, le regardait avec un soupçon de méfiance. Après tout, rien ne prouvait qu’il s’agissait bien d’un employé de la consigne et non d’un escroc quelconque se faisant passé pour tel, après avoir saucissonné le véritable, en vue de s’approprier les biens d’autrui sans éveiller les soupçons des victimes potentielles.
Absorbé un instant par ce scénario qui naissait dans son imagination et en attendant que la monnaie lui soit rendue, le Toréador prit la peine d’observer l’endroit où il se trouvait, à la recherche de caméras de surveillance.

Toujours aussi souriant, le jeune homme ne releva nullement la remarque de Dvorak, ne haussant même pas un sourcil quand celui-ci lui fit son reproche.
Il se contenta d'un simple merci en récupérant le stylo et le questionnaire, avant de se remettre à l'écoute du Toréador et de ses questions :
"Si vous souhaitez faire récupérer vos bagages par une tierce personne, il nous faudrait son identité, et votre carte. Vous avez ainsi possibilité de ne point donner son nom aujourd'hui en cas d'imprévu par exemple, et vous contentez d'un simple appel.
L'individu en question pourra ainsi venir récupérer vos affaires si vous avez pris soin de lui remettre votre carte.

De la même façon, cette carte vous évitera à l'avenir une telle attente, attente dont je vous prie de m'excuser. Il vous suffira de vous présenter avec celle-ci et de nous donner vos affaires avec les tailles exigées."

Il lui indiqua du doigt un point un peu plus loin dans la consigne, où une jeune femme semblait affaissée à discuter avec un couple sur le fonctionnement de ce même établissement. Une pancarte stipulait "possesseur de pass seulement" au dessus du comptoir.
"Je vous conseillerais de vous présenter directement là-bas pour un passage rapide, s'il y a de l'attente ici. C'est un avantage non négligeable à l'avenir si vous êtes pressé, qui a l'intérêt d'être présent dans toutes nos consignes. Ce n'est pas automatisé, mais c'est redoutablement rapide.

Sinon, vous pouvez bien évidemment utiliser cette carte partout en ville dans les adresses que je vous ai fourni.

Enfin, pour une durée de 48 heures et pour un sac de la taille de celui-ci, vous me devez... Huit euros vingt. Si vous étiez dans l'impossibilité de venir le récupérer dans les temps, nous le conserverions bien évidemment, mais vous recevriez une taxe en le reprenant en rapport avec la durée supplémentaire de conservation. Cette taxe est présentée dans le document que je vous ai fourni sur les tarifs."

Nouveau sourire, et le jeune homme se remit à patienter. Personne n'étant présent à la suite de Dvorak, l'humain en face de lui ne semblait guère si pressé.

Ne pouvant se montrer goujat face à tant de politesses de la part du jeune travailleur, le Toréador posa gentiment dans la main de celui-ci, dans le souci qu’elle ne resta point tendue dans le vide bêtement, le stylo trouvé sur le comptoir et avec lequel il jouait depuis peu.
Il déclara ensuite d’un ton faussement distrait :

« J’aime beaucoup la façon dont vous avez placé dans votre phrase ce « dès à présent » qui fait entendre à lui seul, mais de façon suffisamment subtile pour qu’on ne puisse en faire le reproche, combien il vous importunerait qu’on vous fasse perdre votre temps par des questions.
Oh, non, réflexion faite, je n’apprécie pas tant que ça, d’ailleurs… »

Un geste de main négligent conclut ce propos, balayant l’air en même temps que cette idée, et s’accompagna d’un « Peu importe. » magnanime.
Puis, Dvorak fit glisser le questionnaire qu’il venait de remplir vers le jeune homme, afin qu’il puisse le récupérer, et posa son sac sur le comptoir. Il garda cependant les mains dessus, signifiant à l’humain (présumé) qu’il n’était pas encore temps de le prendre, et ajouta à ses paroles précédentes :

« J’ai effectivement des questions, en quantité, même, mais pour l’heure je me limiterai à trois d’entre elles.
Tout d’abord, dans l’éventualité selon laquelle je ne serai pas en mesure de récupérer mes biens en personne, dois-je remplir une sorte de procuration au nom d’un autre individu qui pourrait le faire à ma place, ou bien lui confier la carte que vous venez de me remettre est-il suffisant ?
Ensuite, parmi les autres adresses ci-présentes, certaines consignes sont-elles automatiques ou bien n’y en a t-il que des manuelles comme celle-ci ?
Et pour finir, combien vous dois-je pour quarante-huit heures ? »

Au long de son énoncé de questions, le vampire avait ouvert l’une des poches latérales de son bagage pour en extirper un petit carnet dont la couverture toute cornée témoignait d’un certain vécu. Il y glissa, entre les pages, le document contenant adresses et tarifs, après l’avoir plié. Puis, il fit une entorse à l’esthétique toréador en le rangeant dans la poche arrière droite de son jean, ce qui causa de fait une discontinuité de la silhouette qui, sur un corps aussi parfait, en devenait aussi incongrue qu’une mouche à merde sur la Joconde. Une fois chose faite, il rangea à leur tour papier d’identité et carte de la consigne, cette fois dans la poche de sa chemise.
Attendant désormais ses réponses, le caïnite en était à réfléchir s’il lui fallait ou non sortir également une veste de son sac pour la garder avec lui ; cruel dilemme, s’il en est : avoir l’air de risquer de prendre froid ou porter un vêtement ne s’accordant pas avec le reste de sa tenue…

"S'il vous venait à l'idée d'isoler chacun de vos cotons tiges, monsieur, alors oui vous seriez en droit de nous demander ceci. Bien entendu, après une telle demande, nous aurions probablement l'idée de les mettre dans un compartiment suffisamment grand pour tous les regrouper, vu que nous ne possédons pas de compartiment de la taille d'un tel objet.

Une telle demande est formulée si en plus de la valise ici présente vous en avez plusieurs autres d'une taille similaire. Plutôt que de vous forcer à calculer le volume de toutes vos valises, nous vous épargnons une perte de temps, voilà tout. Tout ça dans l'objectif de vous procurer le meilleur service possible."

Le jeune homme lui renvoya un sourire avant de tendre poliment la main dans l'espoir de récupérer le document totalement rempli par le Toréador. Dvorak comprit par sa réponse que la question sur le volume des affaires n'était pas sur celle de l'endroit où ils seraient stockés, mais juste des objets confiés, laissant ainsi à la consigne le soin de choisir où les mettre.

"Auriez-vous d'autres questions monsieur ? Ou puis-je dès à présent récupérer vos affaires pour les mettre en lieu sûr ?" termina-t-il poliment, s'apprêtant vraisemblablement aussi bien à recevoir une suite de questions ininterrompue qu'un sac de sport confié immédiatement.

Une fois le papier entièrement lu, Dvorak avait relevé sa manche droite jusqu’au dessus du coude, comme pour se préparer à un effort physique, avant de se saisir d’un stylo présent sur le comptoir et d’entamer de répondre de sa plus belle plume. Il tâchait de trouver à chaque fois, de façon naturelle et quasi-immédiate, ce qu’il convenait sans doute d’inscrire pour paraître dans la norme. Certaines questions, toutefois, telle celle portant sur le revenu, lui demandaient un peu trop de réflexion pour que la réponse sembla spontanée à quiconque l’aurait observé attentivement à ces moments précis.
Il interrompait son remplissage du formulaire pour prêter attention à ce qui lui était dit, chaque fois que l’employé de consigne lui adressait la parole.
En récupérant sa carte, jetant un œil à la photo qu’elle comportait, le Toréador s’interrogea sur les procédés qu’il pourrait employer pour tailler son bouc de manière différente. Puis, il prit vaguement connaissance des autres adresses de consignes. A dire vrai, il s’était bien douté que la gare devait en avoir une, c’est juste que l’envie ne l’avait pas prit d’en réserver alors qu’il y était. La grille de prix éveilla moins son intérêt, mais il y jeta tout de même un œil curieux.
Au moment où un numéro de téléphone lui fut demandé, il marqua un temps d’hésitation, qui s’acheva par un regard vers la carte qu’on venait de lui remettre. Il décida de donner son propre numéro de portable, et non celui d’un de ses serviteurs comme il avait coutume de le faire.
Enfin, aux questions finales, et du feuillet à remplir et de son vis-à-vis, le nouveau-né leva les yeux vers ce dernier. Un sourire taquin naquit sur ses lèvres alors qu’une réponse farfelue venait de lui passer en tête, sourire qu’il effaça aussitôt en faveur d’un air sérieux. Il consulta le papier où se trouvait la table de prix, pour voir les tailles proposées, et choisir parmi celles-ci celle qui correspondait le mieux pour contenir son sac de voyage, en ne craignant pas d’estimer la taille à la baisse, compte tenu du fait que ce dernier n’était pas une valise mais un sac de sport, et que donc il était possible de la formaté un minimum à la taille de son futur contenant. Une fois le choix des dimensions fait, le Toréador l’entoura sur la feuille en question, profitant d’avoir toujours le stylo en main, et l’indiqua du doigt au jeune homme qui s’occupait de lui.
Il ajouta, avec un soupçon d’arrogance dans le ton :

« Quant au nombre… le sens de la question m’échappe. Si je voulais déposer, disons… une boite de cotons-tiges, devrais-je vous répondre : un, ou bien compter chaque élément de la boîte et vous en donner le nombre, plus un ? »

Seulement après lecture du document, Dvorak n'en fut pas moins interloqué. En aucune façon le document n'empêchait de mentir sur la quasi totalité des points. Il n'y avait ni demande de relevé bancaire, ni nom de la banque à citer, rien de tout ça.
En fait, après mûre réflexion, on aurait dit un papier informatif comme si le Toréador ici présent venait de rentrer dans une sorte de sondage, pour voir quel genre d'individus avait l'air d'utiliser les consignes. Rien de bien méchant, mais pourtant rien sur le papier ne stipulait clairement que les informations ne seraient utilisées qu'à titre informatif, ou qu'une quelconque étude serait commise grâce à eux.

Pendant ce temps, ayant récupéré sa pièce d'identité, le jeune homme rentra les informations dans l'ordinateur, puis présenta la carte à un scanner. Quelques légères manipulations informatiques plus tard, et il présenta une carte comportant la photo du Caïnite, et l'emblème dans un coin de la consigne.
"Voilà monsieur. Cette carte vous donne droit à utiliser les diverses consignes présentes dans la ville." commença-t-il, lui présentant un document référençant les diverses adresses où aller poser bagages et autres affaires. La gare apparaissant, Dvorak songea au premier abord qu'il aurait pu aller bien plus vite.
"Selon le nombre d'affaires à consigner, et le temps bien entendu qu'elles demeureront dans nos locaux, le prix est variable selon la table ici présente", table qu'il indiqua en dessous de la liste d'adresses sur le document présenté.
"Il nous faudrait un numéro de téléphone où vous joindre, bien évidemment. Ce n'est qu'en cas d'extrêmes nécessités bien sûr, nous n'avons jamais eu à déplorer de vols ici, ou de détériorations. Mais au cas où."
Mentait-il très bien, n'était-il au courant de rien, ou protégeait-il un lieu aussi sécurisé que certaines grandes banques ?

"Quel est le nombre et la taille des affaires que voulez-vous faire conserver ici monsieur ?" termina-t-il, tandis que le Toréador s'extirpait enfin totalement de la lecture de son pseudo questionnaire.

Le vampire n’aimait pas trop avoir à présenter une pièce d’identité, mais comme celle qu’il possédait lui avait permis de franchir la frontière germano-suisse sans difficulté, il la présenta sans trop de réserve lorsque la demande lui en fut faite. La méfiance du Toréador s’accrue quand le formulaire lui fut donné, et ce davantage en arrivant à la lecture de cette fameuse troisième ligne. La consternation que lui causait cette question était d’ailleurs telle qu’on la lisait sans peine sur son visage. Il apparaissait soudain évident que la lecture complète du document s’imposait avant de commencer à y écrire la plus petite lettre.
Le tout était maintenant de savoir si les questions suivantes permettaient une réponse fantaisiste à la question du revenu, ou bien si la curiosité inquisitrice des obsédés de l’espionnage qui avaient eu l’impudence de rédiger cet impudique papier était poussée au point d’exiger également qu’on leur confie le nom de sa banque ou un bulletin de salaire. Dans le premier cas, il était toujours possible d’écrire n’importe quoi, dans le second il allait falloir se faire expliquer deux trois choses par l’employé de service.

Ces questions mises de côté dans son esprit, le Toréador reprendra la route de la consigne où déposer ses affaires. Autour de lui, les enseignes lumineuses renvoyaient dans le hall gigantesque la vie qui émanait de ce bâtiment. Les éclats de rire, les tintements de verre, les files d'attente à proximité des cinémas, le Caïnite pouvait voir l'intégralité de ses choses s'étaler tout autour de lui. Un dernier coup d'oeil vers le trou central au plafond afin d'apercevoir les innombrables boutiques s'étalant sur les différents niveaux de la pyramide, et Dvorak comprit qu'il y avait de quoi perdre en ces lieux toutes ses nuits...

Puis la consigne arriva enfin, le hall ayant été totalement traversé. Combien de temps s'était-il vraiment écoulé ? Peu importe, le Toréador avait vraiment de quoi s'informer vraiment, et avait pu localiser quelques lieux intéressants à fréquenter selon la population qu'il viserait à l'avenir.
Un jeune homme, face à lui, lui demanda poliment des papiers d'identité pour la consigne, et lui présenta un court document à remplir pendant qu'il commençait à rentrer sur son ordinateur tout ce qui concernait ce nouveau client.
Dvorak s'apprêtait à remplir la base, quand il constata ligne 3 une question des plus étranges qui venait rejoindre ses premières interrogations. Le montant du revenu... Depuis quand dans une consigne cet élément était-il important ?

Cet examen plus attentif de la population fit songer le nouveau-né à d’autres approches que celles envisagées jusque là visant à croiser la route de membres de la Famille… quoiqu’en l’occurrence, il s’agirait de parents forts éloignés, voire même à l’opposé complet, en ne considérant que des critères purement esthétiques. Car il lui semblait impossible qu’une ville n’accueille aucun miséreux en son sein, le Toréador avait maintenant en tête d’apprendre où ceux-ci pouvaient bien se concentrer la nuit. Un sujet de plus à ajouter à ses recherches sur le net ; il commençait à devenir pressant de se débarrasser de son bagage à la consigne et de s’installer enfin devant l’un des ordinateurs du cyber-café. C’est qu’à force d’être assailli sans cesse de nouvelles idées, plus ou moins pertinentes, Dvorak sentait qu’il risquait de passer un bien long moment devant l’écran et les nuits, comme tout vampire sait, ne sont pas éternelles.

Le Toréador observait donc ce hall impeccable et la population circulant devant lui. Si les regards se tournaient assez fréquemment vers ce si joli visage, pour le moment personne n'avait osé manquer de courtoisie ou de politesse et venir lui parler sans raison, lui permettant de profiter à une forme assez particulière de tranquillité.

Il avait donc parfaitement le temps d'étudier le potentiel bétail devant lui, constatant en effet qu'il n'y avait dans ce centre commercial ni mendiant, ni individu dont le revenu devait s'étaler sous le seuil de pauvreté. Un léger souvenir concernant la rue, concernant la gare, concernant en fait tous les lieux qu'il avait vus jusque là lui apportait la même réponse : il ne semblait pas y avoir de pauvres à Aurillia, tout du moins pas durant la nuit. Si l'ambiance s'était trouvée fort changée entre le quartier plus historique et la proximité actuelle du lac, jusque là la population semblait étaler sans vergogne un niveau de vie non négligeable, et ceci peu importe le lieu.

Alors qu’il venait de gravir une première marche, le poids supplémentaire du sac qu'il sentait sur son épaule rappela au Toréador son intention de trouver une consigne. D’ordinaire, il n’oubliait pas si facilement ses projets immédiats mais, à sa décharge, tous ces humains qui avaient l’indécence de se pavaner sous son nez, laissant sur leur passage une senteur de jeunesse et de bonne santé, alors qu’aucun Prince ne lui avait permis d’y goûter, le distrayaient plus qu’à l’accoutumée.

Faisant marche arrière et commençant à traverser le hall, une réflexion quant au bétail s’imposa à Dvorak. Pour l’heure, et ce pour une raison qui ne saurait s’expliquer d’aucune manière logique, il avait surtout remarqué dans ce lieu des jeunes mignonettes en tenue légère. Il lui sembla bon de prêter attention cette fois à l’ensemble des individus qu’il apercevait sur son chemin vers la consigne. Son regard cherchait plus particulièrement la présence de mendiants, ainsi que de celle d’un service d’ordre. En même temps, il essayait de se souvenir s’il avait vu ou non des clochards lorsqu’il était à la gare, mais n’ayant pas prêté attention à ce détail alors, la tâche n’était pas simple. Autant donc bien regarder ici.

Bien heureusement pour lui, la Suisse était un pays suffisamment bien construit pour ne pas dissimuler les plans des centres commerciaux à l'opposé de l'entrée, si bien que Dvorak perçut de suite le schéma explicatif des huit étages du Centre.

Vraisemblablement, les étages à partir du troisième étaient actuellement fermés, vue l'heure tardive. Il y trouva un magasin de matériel de sport en tous genres, randonnée y compris. Il lui ferait cela dit y revenir le lendemain pour le trouver ouvert...
Tout autour de lui, au rez de chaussée, les gens circulaient, passant d'un bar à un cinéma, ou se rendant au bowling après une bonne pizza. Principalement des jeunes, tous motivés, riant, plaisant, ce qui changeait complètement de l'ambiance assez morne qu'il avait constaté à la gare. Enfin un peu de vie dans cette cité...

Pas d'office de tourisme dans le centre commercial, le créateur ne devait pas avoir pensé comme le Toréador, mais bien heureusement un bon nombre de cybercafés, tous ouverts, et tous au premier étage. Le Caïnite repéra facilement les sorties, en même temps que les escalators accédant au balcon central, ainsi que les ascenseurs si d'urgence il lui venait l'idée d'en emprunter un. Il fit le tour de la population, s'assurant un garde manger au final assez impressionnant, et alors qu'il s'apprêtait à monter, il lui vint à l'esprit la consigne. Rez de chaussée, mais de l'autre côté du hall...